CONTENTEZ-VOUS D’ÊTRE ET LE RESTE SUIVRA…


Prof d’histoire-géo mariée à un politicien narcissique, Mariette est au bout du rouleau. Une provocation de trop et elle craque, envoyant valser un élève dans l’escalier. Mariette a franchi la ligne rouge. Millie, jeune secrétaire intérimaire, vit dans une solitude monacale. Mais un soir, son immeuble brûle. Elle tourne le dos aux flammes se jette dans le vide. Déserteur de l’armée, Monsieur Mike a fait de la rue son foyer. Installé tranquillement sous un porche, il ne s’attendait pas à ce que, ce matin, le « farfadet » et sa bande le passent à tabac. Au moment où Mariette, Millie et Mike heurtent le mur de leur existence, un homme providentiel surgit et leur tend la main – Jean, qui accueille dans son Atelier les âmes cassées, et dont on dit qu’il fait des miracles. Mais peut-on vraiment se reconstruire sans affronter ses fantômes ? Avancer en se mentant et en mentant aux autres ? Ensemble, les locataires de l’Atelier vont devoir accepter leur part d’ombre, tandis que le mystérieux Jean tire les ficelles d’un jeu de plus en plus dangereux. « Un hymne aux rencontres qui donnent la force de se relever »

« L’atelier des miracles » est de ces romans qui se lisent avec un réel bonheur, un roman délicieux, bouleversant, si prenant qu’on ne peut s’en détacher et dont la lecture laisse son empreinte de douceur et de profonde humanité. Valérie Tong Cuong nous propose dans cet ouvrage un condensé d’existence fait de joies et de peines, dans lequel chacun peut se (re)trouver et puiser ce dont il a besoin pour tracer sa propre route.
Que se rassurent les allergiques aux romans trop lisses, trop prévisibles, qui débordent de bons sentiments et de fausse naïveté, ce n’est vraiment pas du tout le cas, comme pourrait le laisser penser le titre, dans « L’Atelier des Miracles ». Non, ce sont simplement, si l’on peut dire, les destins croisés de trois personnages, présentés dans un roman choral qui laisse la parole à chacun d’eux. Rien ne les prédestinait à se rencontrer, ni leurs âges, ni leurs milieux, ni leurs vies. Sauf qu’ils sont tous les trois malmenés par la vie, à bout de forces et d’illusions, arrivés à un point de rupture. Pour chacun, un événement grave va servir de détonateur pour faire voler en éclat leurs existences. Ils font alors la connaissance de Jean, le mystérieux directeur de « l’Atelier », une association qui a pour but de faire revivre les cas apparemment désespérés, ceux qui n’ont plus la force de continuer parce qu’ils ne trouvent plus de sens à leur vie.
Millie, Mariette, Monsieur Mike, chacun arrive au centre avec son vécu, ses douleurs, ses fantômes et ses failles, tout « ce qui pèse, ce qui enfonce, ce qui fracasse et ce qui empêche »… Sans jugement, sans angélisme, sans manichéisme, Valérie Tong Cuong nous offre les récits conjugués de ces vies brisées et de ces renaissances.
L’expression du mal-être de ces personnages est touchante parce qu’elle peut trouver une résonance en chacun d’entre nous, nous aider à oser une remise en question et à œuvrer pour créer notre vie, celle que profondément nous désirons.
Loin d’être stéréotypés, les personnages sont complexes, secrets, énigmatiques. Même Jean, le « bon samaritain », apparemment si sage, altruiste, dévoué, se révèlera plus sombre, et finalement lui-même en détresse et en quête de son propre bonheur.
Le message du roman est en apparence assez simple : notre vie ne dépend que de nous-même. Même si nous avons besoin des autres, de leur aide, celle-ci ne peut être que passagère. La main tendue est une sorte de transition qui doit mener à une prise de conscience personnelle. L’autre a le pouvoir de nous redonner la force et le courage de prendre du recul pour envisager de nouvelles possibilités, de nouveaux horizons, de nouveaux chemins à tracer mais au final, c’est à nous de prendre notre vie en mains, d’explorer nos potentialités, de surmonter les obstacles, autour de nous et en nous, d’assumer nos choix. C’est le prix de notre liberté : nous sommes chacun les responsables et les artisans de nos vies. Et de nos miracles.

ORSENNA L’ENCHANTEUR

« Méfiez-vous ! Les mots ne sont pas ce que l’on croit : de petits animaux doux et dociles, auxquels ils n’arrivent jamais rien. Les mots aiment l’amour. Mais aussi la bataille. Ils se trouvent ainsi mêlés à toutes sortes d’aventures, sentimentales et dangereuses. »
Et ils vont en vivre, des aventures, dans le nouveau conte d’Erik Orsenna ! Comme dans chacun de ses ouvrages, l’écrivain enchanteur raconte pour expliquer. Et après nous avoir entretenu de la grammaire, des accents, du subjonctif, de la ponctuation, il aborde la question de l’origine des mots. D’où viennent-ils ? Comment les fabrique-t-on ?

Pour cette ultime escale du voyage en langue française, nous retrouvons Jeanne, l’héroïne de « La Grammaire est une chanson douce« . Elle nous révèle une histoire, celle qu’elle a vécue lorsqu’elle avait dix ans et quelques mois et qu’elle avait tenue secrète jusqu’alors… Une histoire qui avait bien mal commencé, avec un décret de Nécrole le dictateur de l’île, « chez (qui) la malfaisance et le grotesque se faisaient la courte échelle pour atteindre des sommets« . Cet individu nuisible avait décidé, pour empêcher tout bavardage jugé inutile, intempestif et improductif, de limiter le nombre de mots à douze. Douze petits verbes seulement pour s’exprimer : « naître, manger, boire, pisser, déféquer, dormir, divorcer, se marier, travailler, vieillir, mourir, acclamer ». Passée la stupeur première devant tant d’absurdité, et le choc après l’incendie de la bibliothèque de dictionnaires du Capitan, vient le temps de la révolte. Les autres mots, évincés, pourchassés, voire expulsés, se rebiffent. Et toute la classe de Mlle Laurencin, Jeanne en tête, se lance aussi dans la rébellion et la résistance. C’est l’occasion pour l’institutrice de faire connaître à ses élèves l’étymologie, de revenir aux racines grecques et latines de notre langue, mais aussi de prendre conscience de toutes les influences étrangères qui l’ont enrichi. En passant un dimanche à la Fabrique des mots installée – ce n’est pas un hasard – dans l’ancienne mine d’or, ils découvrent combien les mots sont un trésor précieux, une richesse sans cesse renouvelé et complétée.
« Quand tu inventes un mot, tu éclaires ce qui était dans le noir. Tu précises ce qui était confus. Tu sépares ce qui était mélangé. Tu fais naître quelque chose qui n’existait pas. »

Par l’intermédiaire d’un joli conte plein de fantaisie et d’humour, poétiquement illustré par Camille Chevrillon, c’est sur le chemin d’une réflexion essentielle et philosophique sur le langage que nous mène Erik Orsenna. Le ton est léger et profond, drôle et grave, naïf et érudit, au service d’un propos qui oscille toujours entre magie et sagesse…

« Et si les mots, à leur tour, nous inventaient ?« 

COMME LES TRAINS SONT BLEUS QUAND ON Y PENSE…

Gaëlle Josse nous a précédemment enchantés avec « Les Heures Silencieuses », captivés avec « Nos vies désaccordées ». Elle revient pour nous charmer avec « Noces de neige », court et intense récit ferroviaire…
C’est sous la forme d’un récit croisé que l’auteure nous invite à suivre, dans leur long voyage, deux jeunes femmes russes à deux époques différentes, l’une de Nice à Moscou, l’autre de Moscou à Nice, la première à la fin du XIXème siècle, la seconde en 2012.

Nous rencontrons tout d’abord Anna Alexandrovna, en 1881, à la gare de Nice. C’est une jeune adolescente issue de l’aristocratie russe. Comme beaucoup de nobles à l’époque, sa famille passe tous les hivers sur la Riviera et ne revient en Russie qu’au printemps. C’est accompagnés d’une armée de domestiques qu’ils s’installent dans les wagons première classe luxueuses du Nice-Moscou pour un long périple de plusieurs jours qui sera plus que mouvementé…
Deuxième chapitre, bond dans le temps et l’espace, voici Irina, jeune femme russe qui, rêvant d’une autre vie, a choisi de quitter Moscou définitivement. Elle entame donc le voyage en sens inverse, pour rejoindre à Nice Enzo, jeune français avec qui elle correspond depuis plusieurs mois via un site de rencontres sur Internet et qui lui a offert de s’installer en France avec elle. En prenant le train à Moscou, elle ignore encore à quel point ce voyage sera déterminant pour elle…

Un double récit, deux textes en écho, deux figures féminines alternées – l’une sur le retour, l’autre sur le départ – dont l’auteure relate ce mois de mars décisif à plus d’un siècle d’intervalle. Elle a choisi de laisser Anna s’exprimer par elle-même tandis que pour Irina, le point de vue omniscient est privilégié, comme si la jeune femme était suivi de loin par un observateur averti…
Deux aspirations différentes et pourtant si proches, emplies de désirs et de quête d’accomplissement pour ces deux femmes de milieux et d’époque éloignés, une même ambition universelle et intemporelle d’aimer et d’être aimée et de trouver le bonheur dans l’amour. Une trame en filigrane que l’on retrouve, me semble-t-il, à chacun des romans de Gaëlle Josse, mais qui ici paraît encore plus finement esquissée, et plus profondément orchestrée, la respiration est joliment maîtrisée, la plume est précise et juste, les résonances parfaites…

Les roulis assommants du train, l’enfermement dans des compartiments hors du temps où la promiscuité exacerbe les sentiments et les « pensées qui tournent dans (la) tête, comme des oiseaux énervés par le vent », créent une forme étrange d’intimité.

Il y a aussi quelque chose de théâtral dans ces pages, de la tragédie, du comédie et du geste. Sur des scènes à la fois ouvertes et closes se croisent des personnages, les temps se mêlent, s’emmêlent, et se joue pas moins que le drame ou le bonheur de leur vie, dans « la bulle trouble et troublante du voyage ».

Au gré de la double traversée, le temps du voyage s’accorde avec celui de la narration, et la petite mélodie teintée de doux-amer prend de l’ampleur, se fait plus vibrante, plus tendue. Triomphent alors les mots du cœur, du corps puisqu’il est dit que « la vie est de sang, de chair, de sperme et de larmes, de trop de larmes, de trop de sang parfois »… L’écriture de Gaëlle Josse, quoique pleine de nuances et de subtilités, ne reste pas dans l’effleurement, à la surface des choses, elle va au plus profond, au touchant, au palpable, et nous atteint en plein cœur et en pleine âme.

Gaëlle Josse semble atteindre à chacun de ses romans un point d’aboutissement et pourtant, elle le dépasse à chaque livre. D’où leur vient ce charme, cette force narrative ? Il y a les contextes, si variés, les voix tellement expressives et singulières, ce réalisme pourtant teinté de poésie, et cette tension émotionnelle, évidemment, qui anime la plume à sa juste et pleine mesure.

« Noces de neige » est un court récit, dense, un peu à la façon d’un Stefan Zweig. Le rythme diffère de celui de « Nos vies désaccordées », s’accordant à celui du voyage en train, plus nerveux, plus lancinant, et le lecteur s’y accorde aussi, au fil des étape et des paysages, soumis aux secousses, gagné peu à peu lui aussi par la fébrilité, jusqu’aux dernières heures du voyage, jusqu’aux derniers mots du récit…

UNE PASSION RUSSE

« Apollinaria voulait que sa vie fût remplie, pas sa mort. »
Et elle le fut, remplie, intense, passionnée, la vie d’Apollinaria Souslova ! Fille d’un serf émancipé, étudiante à l’Université de Pétersbourg, Apollinaria rêve d’une carrière d’écrivain. Lors d’une conférence donnée par Fédor Dostoïevski de retour du bagne, elle provoque une rencontre avec le grand Ecrivain qui accepte de lire une de ses nouvelles et promet de l’aider. S’ensuit alors une relation passionnée, charnelle et tempêtueuse entre l’auteur et sa muse, relation à la fois célèbre et méconnue entre ces deux êtres hors du commun.
On connaît les tourments abyssaux des personnages de Dostoïevski dont on pressent qu’ils sont inspirés de ses propres tourments et contradictions. Capucine Motte nous fait dévoile dans ce roman le rôle joué par cette femme d’exception qui apporta à l’Ecrivain autant d’inspiration que de souffrance, les deux se confondant souvent dans son œuvre et dans son existence, les blessures les plus douloureuses lui faisant atteindre les plus hautes extases.
Apollinaria semble discrète, secrète, effacée au début du roman, on la sent fragile à l’extrême, une brindille prête à se briser… Mais elle se révèle ensuite, dans sa relation avec l’Ecrivain, une tout autre femme – « une écorchée vive, une capricieuse, une femme fatale, une aventurière » – séductrice, implacable bourreau du cœur de Dostoïevski, d’une intelligence brillante, féministe avant l’heure, brûlant d’un désir de reconnaissance et d’un désir de jouir immenses… Tout le roman est construit autour de cette passion folle, de cette passion russe nourrie d’excès, de dépravations, de sentiments fiévreux et exacerbés, de tourments, de tumultes et de démons… Par là même, Capucine Motte restitue cette « vérité » – si tant est que la Littérature puisse jamais l’atteindre – qu’aucune biographie des deux héros n’aurait su rendre. En explorant leurs sentiments désordonnés, en sondant les zones d’ombre, elle nous donne à voir les troubles de l’Ecrivain et de sa muse pour qui le mot passion rime avec malédiction… Le contexte historique, ô combien troublé lui aussi, n’est pas oublié. L’auteure retranscrit comme à l’encre russe la révolte sociale, la contestation de l’intelligentsia, la répression tsariste et les prémices de la révolution à venir…
Malgré la distance géographique et temporelle, Capucine Motte parvient à nous rendre ses personnages intensément présents, on vibre avec eux, on souffre avec eux, on voyage avec eux. De Saint-Pétersbourg à Paris, d’Allemagne en Italie, nous suivons leurs fuites, leurs égarements, leurs retrouvailles et leurs éloignements. Ne pouvant vivre ni ensemble, ni l’un sans l’autre, ils sont sans cesse en équilibre instable, funambules de la passion et de l’existence.
J’avoue avoir, comme dans les grands romans russes, quelque peu survolé les passages « socio-politiques » qui, bien que contribuant à la contextualisation du récit, m’ont parfois semblé longs. Je leur aurais préféré davantage de références à la création littéraire…
Hormis ce tout petit bémol, on ne peut qu’admirer l’audace et le talent de Capucine Motte qui a brillamment réussi à donner à ces personnages issus de la réalité une superbe dimension romanesque. À partir de leur vie passionnée, elle leur a donné une existence à la fois littéraire et dans l’imaginaire de ses lecteurs tant ils nous semblent proches au fil des pages…
« Vivre, avoir tant d’ambition, souffrir, pleurer et combattre, et, au bout, l’oubli »… Grâce à ce roman, l’histoire passionnelle de l’Ecrivain et de sa muse en est préservée à jamais…

L’ABSORPTION DU SENS PAR LA PEAU

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« Sensation vague dans un demi-sommeil que ma main palpe l’endroit du tatouage, résurgence d’une pensée souterraine et inquiète. Le lendemain matin, je me douche sans regarder l’endroit, et file dans une pièce sans miroir où je peux me sécher en paix. Je passe les jours qui suivent à faire comme si je n’y pensais pas, à l’éviter avec une précaution qu’on emploierait pour ne pas déranger un prédateur dans la jungle. Et si je suis dans un lieu public, j’ai l’impression que des gens, ils sont plus nombreux qu’avant, m’observent. Et leurs yeux s’attardent, semble-t-il, sur cette partie de mon anatomie, comme si mes vêtements ne pouvaient pas totalement la dissimuler. »

Les romans de Stéphanie Hochet sont de ceux, denses et intenses, qui recèlent une multitude d’éléments à analyser. « Sang d’encre » ne fait pas exception : ce livre, né à la Villa Marguerite Yourcenar – résidence d’écriture – le confirme avec excellence.

Cette fois encore, l’auteur va loin et frappe fort, en choisissant comme clef de voûte de son ouvrage le tatouage, pratique ancestrale, aujourd’hui très prisée, très « tendance ». Faire de son corps une toile pour y exprimer par des motifs ou de mots gravés ses pensées profondes, ses émotions est devenu assez courant, presque banal. Pour le narrateur de « Sang d’encre« , il en doit pas en être ainsi. Se tatouer est tout sauf banal, sauf léger : c’est révéler une partie intime de soi-même.
« Les tatouages vous racontent le monde, les croyances des hommes. […] Je saurai plus sur toi quand j’aurai vu. Avec quelle image, quelle phrase profanes-tu ta peau? […] Il n’y a pas si longtemps, seuls les mauvais sujets, hommes au passé trouble, et aux intentions dangereuses, arboraient de tels ornements. […] Chaque détail du tatouage était noté sur des fiches et permettait d’identifier les criminels. »
Dessinateur pour un ami tatoueur, le narrateur n’a pourtant jamais osé sauter le pas et se faire lui-même tatouer. Interdits familiaux intégrés, peur de se tromper sur le motif pour une œuvre qui sera gravée dans sa peau à jamais… C’est lors d’un voyage en Italie, au Musée des Antiquités de Turin qu’il a comme une révélation. « Vulnerant omnes, ultima necat« . Cette phrase l’interpelle et le fascine. Il le sait alors, il en est sûr, ce sont ces mots qu’il veut graver sur sa peau, et plus précisément sur son plexus solaire, malgré le danger. « Le plexus solaire est un important réseau de nerfs qui contrôle tous les organes importants de l’abdomen. Le foie, le pancréas, la rate et les reins lui sont reliés. Un choc violent dans cette région peut plonger un homme dans le coma « . Mais son ami Dimitri a l’expérience et le geste sûr.
« Toutes blessent, la dernière tue. » Voici désormais l’adage que le narrateur porte sur sa peau, dans son corps… et qui va engendrer une quête intérieure avec pour toile de fond le questionnement sur le changement qu’opère un tatouage pas seulement sur la peau mais sur l’être humain tout entier.
 » Je suis le même homme. Suis-je le même homme ? Pas exactement, je porte autre chose en moi, quelque chose qui me tient à cœur – à tel point que j’ai accepté de souffrir pour qu’il m’appartienne ou me désigne ou me porte chance ou tout le contraire. Rapidement, je me suis dit que cette phrase n’était qu’à moi. Prenant conscience de l’absorption du sens par ma peau, les interrogations ont commencé « .
« L’absorption du sens par ma peau« … Cette peau transformée profondément, le métamorphose intrinsèquement, modifie son Être même. Tout change. Pas seulement son corps, son esprit même, son psychisme. Jour après jour, la maladie prend possession de ses pensées et les torture. La journée. La nuit. Détresse. Hantise. Comme si cette phrase était un fardeau prophétique qui le détruit de l’intérieur.
«  Ecrire Vulnerant omnes, ultima necat sur la peau, c’est lier l’avenir du tatoué à la signification de cette phrase, c’est décider de son destin. […] Elle est « L ». La maladie qui commence par « L », polluant mon sang. Mon organisme connaît intimement celle qui circule sans demander l’avis de personne. Attaquant les globules, elle est responsable de mes fatigues, de mes vertiges. Elle m’use. Et si je ne fais rien, elle me tuera. Mon sang décoloré, le rouge effacé peu à peu, fluide progressivement transparent. Dans tous les manuels de médecine, il est dit qu’elle me tuera si rien n’est fait. Et je veux bien croire les manuels de médecine. J’ai acheté le traitement, l’ai posé sur ma table de nuit. Je ne l’ai pas ouvert. Il est là qui attend. Nous nous regardons« .
Le texte de Stéphanie Hochet nous entraîne à la frontière du fantastique, abordant, dans la continuité de son œuvre, des thèmes déjà présents dans ses livres précédents – mort, maladie, folie, paranoïa… Rien ne semble avoir été oublié dans ce roman court mais tellement dense, ni l’obsession du tatoué qui s’obstine à vouloir s’identifier par un marquage qu’il voudrait signifiant – mais qui devient vite insignifiant puisque répété à l’envi sur tant d’autres corps ; ni sa détresse de ne pas y parvenir…
Stéphanie Hochet nous offre ici un roman bref, d’une intensité rare, d’une noirceur, d’une profondeur, d’un mystère absolument envoûtants. Son talent semble ne connaître aucune limite, ni dans le format, ni dans le style. Elle est à même de réaliser toutes les mises en abyme, tous les enchevêtrements possibles et inimaginables pour tourmenter, désorienter, perdre le lecteur… Le récit se construit comme un puzzle, subtilement mis en scène, superbement écrit. Les phrases se succèdent à un rythme infernal, palpitant, enchaînant le lecteur au livre. Le texte est élégant, sombre et pénétrant. Comme un tatouage : indélébile.

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Née en 1975, Stéphanie Hochet vit à Paris. Romancière et critique, elle publie articles et chroniques dans plusieurs journaux et webmagazines (Libération, Le Jeudi, Le Magazine des livres, BSC News…) et participe à plusieurs ouvrages collectifs comme la Collection irraisonnée de préfaces à des livres fétiches (éd. Intervalles, 2009) et le Dictionnaire des séries télé (éd. Philippe Rey, 2011). Parmi ses sept romans, citons les trois derniers : Je ne connais pas ma force (Fayard, 2007), Combat de l’amour et de la faim (Fayard, 2009) qui a obtenu le Prix Lilas et La distribution des lumières (Flammarion, 2010), couronné du Prix Thyde Monnier de la Société des gens de lettres 2010.

IRRÉSISTIBLE HAROLD COBERT

Selon les mots de l’auteur lui-même, « Au nom du père, du fils et du rock n’ roll » raconte l’histoire d’un rendez-vous manqué entre un fils et un père. Une histoire de filiation, l’autre version de (son) précédent roman. « Dieu surfe au Pays basque » interrogeait en effet sur la paternité du point de vue du futur père, alors qu’ici le texte interroge en filigrane ce que c’est que d’être un fils ».
Des pères, des fils, du surf, des amis, de l’amour et du rock n’ roll, en voici les principaux ingrédients. Comme toujours avec Harold Cobert, l’histoire et l’écriture happent le lecteur d’emblée pour ne le laisser, comme sonné par une vague impétueuse, qu’à la toute dernière ligne.
Le roman commence presque par la fin, sur une scène d’affrontement entre un père et son fils, un jour d’anniversaire. Victor, 17 ans, surfeur insubmersible et rebelle, insulte Christian, son père qui, impuissant face à l’agressivité de son ado, préfère attendre que la déferlante de reproches nourris de longues années de ressentiments passe, en espérant en silence des temps plus calmes.

Petit retour en arrière dans les sixties, plongée dans le milieu du rock underground. Où l’on retrouve Christian, le père, qui a grandi en banlieue parisienne, avec une mère aimante et soumise et un père violent qui très vite abandonne le foyer familial pour une nouvelle femme – une nouvelle vie. Le petit Christian comprend très vite qu’il lui faut se débrouiller seul et aider sa mère pour subvenir aux besoins de la famille. Dès l’âge de huit ans, il trouve des « combines » puis de petits boulots pour gagner quelques sous. Elève brillant, il obtient une bourse, et rentre en prépa au Lycée Henri IV, où les « petits parisiens de bonne famille  » le regardent de haut. Il s’en moque, prenant cela comme un défi et se classe parmi les premiers, ceux qui ont comme avenir d’intégrer une Grande Ecole. Mais Christian rencontre Gérard, Alain, François et Dudu, quatre joyeux bordelais, qui partagent sa passion pour le rock n’ roll. Une passion qui prend vite le pas sur la « voie royale » promise par des études studieuses… Le brillant élève devient un brillant DJ, « Monsieur Best », une personnalité reconnue, et vite incontournable, de la vie nocturne parisienne.
Et puis Christian rencontre Lorraine. C’est le temps de l’amour… Et très vite de la naissance de Victor. Qui est un bébé véhément. Puis un petit garçon turbulent. Et qui, marqué par la séparation de ses parents, devient un ado provocateur, orgueilleux, égoïste, capricieux, un surfeur d’exception et un séducteur impitoyable.

Après le sensible et émouvant « Dieu surfe au Pays basque » qui exprimait les sentiments et sensations intimes d’un père confronté à la perte d’un enfant en devenir, ce nouvel opus poursuit l’exploration des relations père-fils d’une plume encrée de tendresse et d’impertinence.

Le thème des rapports filiaux n’est pas particulièrement original tant les exemples sont nombreux en littérature, mais la perspective choisie par l’auteur est suffisamment singulière pour insuffler fraîcheur et nouveauté à ce sujet souvent abordé. Une fois évacuée le stéréotype littéraire du père violent, égoïste, déserteur, salaud avec Marcel, le géniteur de Christian, c’est une toute autre image paternelle qui s’impose.

Les jeux de miroir du roman donne rapidement à comprendre au lecteur que Christian, DJ renommé à la jeunesse tumultueuse et passionné de rock, a sacrifié ses rêves de noctambule pour assurer à Victor une vie stable, des repères solides, de l’amour. Mais le fils, turbulent à l’origine, devient ingrat, odieux et révolté après la séparation de ses parents et met perpétuellement, violemment parfois, à mal la difficile relation que Christian veut préserver avec lui. Leur séjour commun au Québec laisse pourtant entrevoir la possibilité de voir cette relation douloureuse, tourmentée, s’apaiser et devenir plus sereine…

C’est sur une bande originale rock n’ roll qu’Harold Cobert décrypte et analyse les relations difficiles entre père et fils, et signe un roman plein de justesse et de nostalgie. Le style se fait sensible, pour saisir toutes les nuances et subtilités des liens entre père et fils, et implacable dans sa structure, comme la déferlante qui défie les surfers les plus aguerris, alliant densité et intensité.

On aime dans ce nouvel opus tout ce qui fait le talent et le charme d’Harold Cobert. La structure, chronologique sans l’être vraiment. L’originalité de traitement d’un thème à la fois universel et souvent abordé. Les portraits sans concession mais sans caricature des personnages, « simplement » présentés dans leur vérité. La coexistence des registres de langage, toujours introduits à bon escient, pour donner au récit son rythme et son caractère. Les dialogues ciselés, impeccables, si ajustés aux personnages, aux situations, aux époques. Le style enlevé, subtil, à la fois littéraire et so rock.

Mention spéciale pour la BOL (Bande Originale du Livre), super concept et excellente playlist comprenant, Face A, les musiques qui ont accompagnées l’écriture du roman, et Face B, les 22 meilleurs morceaux de l’histoire du rock n’ roll selon Monsieur Cobert père, expert en la matière selon son écrivain de fils…

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